Textes sur Floristella Stephani

Paysages de sensibilité

La découverte d’une œuvre originale, tout à la fois humaine et hors des temps, est une surprise fulgurante, comparable peut-être à la beauté insolite d’un paysage jamais vu, ou dévoilé après des mois de brouillard. Sentiment de délivrance. Je reconnais dans la peinture de Floristella Stephani un écho à la vie, ces petits instants de silence qui vibrent très fort, mystérieusement. Que cela soit dans ses natures mortes, ses paysages ou ses scènes d’intérieur, la lumière n’est plus nomade, elle ne caresse pas les formes mais irradie de l’intérieur même de la couleur; elle habite les toits, les grises cheminées, la colline et les champs de chaume, Mustapha le chat blanc et la table du salon. Bien que les couleurs dans ses toiles chantent et s’harmonisent, c’est aux peintres Hollandais que l’on songe par la sérénité de la lumière. Les œuvres de Floristella sont une écoute patiente de la nature, dans un état d’innocence d’où le mystère n’est point absent, car elle sait respecter l’indépendance d’une forêt, d’un ciel et leurs obscurités. Plus simplement Floristella Stephani peint des paysages de sensibilité, le quartier bleuté de Belleville, des portraits de fleurs; mélancoliques ou joyeuses, des scènes que nous avons tous vécues : les souvenirs que nous portons en nous, ceux de l’enfance assurément, du temps où nous n’avions peur que de la maîtresse d’école, du policier et du grand livre où sont inscrites les Lois. Cette liberté nous autorisait à courir bruyamment au soleil, émerveillés du moindre brin d’herbe, des étonnantes sauterelles et vrombissantes libellules. C’est tout cela l’univers de Foristella. Le peintre Joseph Czapski m’a fait découvrir cette peinture : à mon tour de vous la faire aimer.

Richard Aeschlimann

En mémoire de Floristella Stephani

C’est avec mélancolie, ce mardi soir 26 juin, que j’ai retrouvé les tableaux de Floristella après que, sur mon répondeur, j’eus relevé avec retard le message de sa nièce Ilona, m’annonçant sa mort récente, tout en douceur me précisait-on. Il y avait bien des années que nous ne nous étions plus vus ni écrit, et pourtant la peinture de Floristella reste aussi présente, autour de nous, que celle de Thierry Vernet son compagnon.

C’est une vision magique des animaux du jardin des plantes, que l’art du glacis de cette restauratrice de toiles anciennes a parés d’une sorte d’aura de matière transparente. Ou c’est le grand chat Moustapha dont elle nous a fait cadeau pour notre mariage. C’est un corbeau qu’elle a peint pour notre fille J. un peu jalouse que notre fille S. eut reçu un chat aquarellé par Thierry d’un seul trait de pinceau. C’est aussi, qui garde notre sommeil, ce Christ solitaire au Golgotha sous un ciel de sang. Ce sont deux baigneuses proustiennes sur la plage de Trouville, évoquant une miniature de Manet. C’est ce soleil d’hiver sur les sables d’Ostende. Enfin c’est ce champ de coquelicots d’une grâce infinie dont j’ai fait la couverture de mon dernier livre. A cela s’ajoutant le souvenir de toutes les toiles découvertes à travers les années, de cette artiste pourtant lente et rare, qui mettait des mois à fixer sa vision, à l’opposé des fulgurances de son compagnon.

Floristella peignait hors de l’actualité passagère et des modes, mais on pourrait dire que sa peinture, comme celle des maîtres flamands, s’inscrit au cœur du temps dont elle saisissait un instant d’éternité dans la figuration la plus humble de ce qu’elle contemplait. De la même façon, du vivant de Thierry Vernet, tous les instants passés avec elle relevaient d’une forme de présence intemporelle, simple et joyeuse. Lui et elle disparus, ils restent vivants, par leurs oeuvres et dans nos coeurs reconnaissants.

Jean Louis Kuffer – juin 2007