Séjour à Java

« Là-bas il y a plus de lumière, de buée dans la couleur. »

 

« Entre février et mai 1988 j’ai eu l’occasion de passer, pour un travail de théâtre, deux mois au centre de l’île de Java. J’habitais en ville et travaillais en banlieue dans une grande maison louée pour la compagnie. La ville, Solo, est séparée de sa banlieue , Palm, par une rivière couleur de terre. Au lieu dit Juruk on passe la rivière sur deux ponts métalliques, l’un réservé au trafic lourd, l’autre aux piétons, vélos motos, cyclo-pousse, etc… A cet endroit la rive gauche de la rivière consiste en une sorte de parc municipal planté de beaux arbres, la rive droite est occupée par des bananiers exubérants. je passais ces ponts deux fois par jour, le matin tôt, dans une lumière romaine, et le soir par la nuit noire et chaude. Quelque fois j’y allais voir tomber le jour. Je devrais dire plutôt surgir la nuit, tant elle me semblait naître de l’eau et de la brume. Sous l’équateur le crépuscule est d’une brusquerie effrayante mais durant les quelques instants qui précèdent ce somptueux naufrage, quand les amoureux sont partis sur leur Vespa (elle si frêle, en amazone) et quand les petites prostituées en baskets ont renoncé à vous entraîner, de leurs gestes obscènes, au bord de l’eau, un moment de solitude, de silence et de paix ineffable vous est donné. Le paysan d’en face rassemble son troupeau d’oies, puis se livre avec grâce, discrétion et dignité aux nécessités de l’hygiène; un train passe, sur un troisième pont, au loin; le bleu de plus en plus clair se réserve le haut du ciel; enfin, la buée puis le brouillard prennent possession de tout. A Juruk, comme Elie devant sa caverne, je saluais alors la densité de l’invisible. »

Th. Vernet

Vieux Zoulou,
Tous ceux qui ont vu ce soir ces images magnifiques sont repartis chez eux avec un plus qui n’est lié ni à Java – reconnu, adoré – ni nécessairement à la peinture telle qu’on en parle dans le “système”, mais par un allègement qui pourrait aussi bien s’exprimer par la musique ou du texte. Ton choix : formes et couleurs façon Montgolfière. Tes tableaux sont un véritable bienfait. Légèreté et maîtrise, tu n’as vraiment pas traîné en route.

Nicolas Bouvier  – Cologny, ce soir 14 avril 1989

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