Voyages

 » Un voyage se passe de motifs. Il ne tarde pas à prouver qu’il se suffit à lui-même. On croit qu’on va faire un voyage, mais bientôt c’est le voyage qui vous fait, ou vous défait. »

Nicolas Bouvier – L’usage du monde

En 1950, Thierry Vernet et Nicolas Bouvier se rendent en Algérie. Ils sont âgés de 23 et 21 ans. Une sorte de préparatif au grand voyage qui les mènera en Orient. Le quotidien « Le Courrier » publiera le récit de ce voyage illustré par les dessins de T. Vernet.

Puis en 1953, c’est le départ pour la grande aventure  sur les routes du Moyen-Orient et de l’Asie avec une petite voiture « Topolino ». N. Bouvier a raconté ce Périple dans « l’Usage du monde ». Th. Vernet de son côté, a écrit à ses proches des milliers de lettres publiées récemment, sous le titre : « Peindre, écrire chemin faisant ».

– Viendras-tu avec moi aux Indes ?

– Et comment que je suis d’accord ! répond Thierry. Tout de suite si tu veux.

Extrait de « l’oeil qui écrit » , biographie de N. Bouvier par François Laut

sur la route de Chiraz, en Iran / Téhéran

L’usage du monde

L’une au moins de ses œuvres est universellement connue : le dessin de ces deux bizarres personnages tête-bêche chevauchant un pauvre âne résigné, sur la couverture de L’usage du monde de Bouvier [Payot, 2001], est probablement le plus célèbre de Thierry Vernet. Mais à part ce croquis à l’ironie ravageuse, l’œuvre du peintre genevois [1927-1993] est restée plus discrète – et l’artiste lui-même plus discret encore. Car dans l’insolite et formidable tandem Bouvier-Vernet qui, en 1953-1954, fila presque sans un sou de Genève à Kaboul en Topolino, c’est Bouvier qui a dominé, sa plume incomparable dans l’épopée comme dans la comédie le sacrant référence incontournable des écrivains voyageurs. Et Thierry Vernet, son compère et ami, en était lui aussi convaincu, à ses propres dépends, estimant dès les premières pages avoir pour sa part « le plus beau métier du monde ». C’est d’ailleurs la vente de ses aquarelles et tableaux en cours de route qui finança en bonne partie l’expédition… « Le cher Nick » – comme l’appelle Vernet avec une affectueuse ironie – en était bien conscient, et souligne volontiers dans L’usage du monde l’importance de son ami, dessinateur audacieux, infirmier-cuistot-garagiste sans faille, mais surtout auditoire permanent et bienveillant…

Extrait d’un commentaire de  Joëlle Brack à propos de « Peindre, écrire, chemin faisant » de Thierry Vernet   Ed. L’ Age d’Homme

Turquie / Route d’Ankara

Les dessins originaux

« Je me souviens d’une nuit d’été au bord du lac, étendu sur un ponton en compagnie de l’ami préféré, tétant le lait des étoiles. Nous étions alors convaincus que la vie n’est vraiment vécue que si elle est écrite, que ce soit sur du papier, de la toile ou des portées. »

Th. V.

Un artiste de 26 ans, Thierry Vernet, débute un long périple ; un écrivain de 25 ans, Nicolas Bouvier le rejoint. Le voyage dure près de deux ans (1953- 1954). Ensemble, chacun à sa manière, ils inventent L’usage du monde,* un livre essentiel, initiatique, qui entremêle narrations et dessins. Initiatique ? Oui. Tous les grands voyageurs sont des pèlerins, et toute pérégrination est recherche de soi.

Intimement liés au texte de Nicolas Bouvier, indissociables selon leur projet commun, ces dessins originaux n’ont jamais fait l’objet d’un tirage de qualité qui leur rende honneur. Une sélection est proposée ici grâce à l’accord d’Eliane Bouvier et la détermination de l’association ADOP : FS-TV et des héritiers de Thierry Vernet et de sa femme Floristella Stephani.

Au-delà des villes traversées (Ptuj, Zagreb, Trébizonde, Tabriz, Téhéran, Kaboul), les dessins de L’usage du monde témoignent de la sensibilité de Thierry Vernet, mené par le hasard des routes et l’entêtement à saisir.

Frère en graphisme d’Hugo Pratt, précurseur de Marjane Satrapi, Thierry Vernet porte soin à ses dessins dont le contraste noir-blanc accentue l’intensité et la tendresse. La courbe opulente des femmes et des montagnes, la mosquée souriante aux bras levés, traduisent une empathie en mouvement qui englobe les soldats taciturnes et les étranges personnages à la Kusturica, mi braconniers mi miliciens. Et, évidemment, les musiciens. Excellent accordéoniste lui-même, Thierry Vernet se défait par la musique de sa condition d’étranger. En définitive, le grand art de cet artiste est de restituer des atmosphères et, partant, de nous faire aimer ces gens et ces lieux. En contrepoint à ces dessins, existe la magnifique correspondance éditée en 2006,** de Thierry Vernet à sa famille et à l’aimée, la Môme, Floristella Stephani. Ces lettres offrent accès au quotidien du dessinateur, à son apprentissage du Monde majuscule, êtres et paysages mêlés.

Il nous est alors facile de comprendre que le plus bel usage du monde, c’est de le partager.

Alexandra Galitzine

Turquie / Th. Vernet à Tabriz