Migration à Paris

Après leur pause campagnarde, le couple Vernet, en manque de stimulants, débarque à Paris. Ils s’installeront à l’Hôtel du Midi jusqu’en début 59, puis loueront un appartement dans le IXème, 20 rue Cadet. L’endroit est exiguë, environ 25 mètres carré entre deux cours, mais ils y resteront dix ans, avant de déménager définitivement dans le XXème, au 54 rue des Envierges.

“Craignant les effets ramollissants du Lac Léman, nous avons quand même fini par quitter la Suisse et par nous installer à Paris en même temps que De Gaulle, en mai 1958, et nous fûmes content d’y vivre. Nous avons débarqué dans un petit hôtel de la rive gauche pendant ces fameux événements de mai 58. Aussi avons-nous connus quelques difficultés…”

extrait d’un interview de Th. V. avec Jacqueline Thévoz en 1978

Mars 59 : « …Printemps adorable. Il y a un an nous débarquions, par un vent froid, à l’Hôtel de Londres, rue Bonaparte… Je suis un peu perdu, je ne sais plus dans quel sens travailler ».

Maintenant, automne 81, après dix ans passés entre les Folies-Bergère et le Grand Orient de France, et douze sur les hauteurs de Belleville, je ne peux que répéter : « Je suis un peu perdu, je ne sais plus dans quel sens travailler ». C’est cela : Paris est ville de perdition, d’égarement. On y vient pour ça : s’y perdre, égarer ce qu’on a acquis et trouver quelque chose au-delà, qu’on n’atteindra jamais, ou rencontrer enfin le Visage Unique au travers de l’épaisseur de la vie et dans cette lumière miraculeuse, marine et campagnarde…

(Un souvenir : sur le Pont-Neuf, fin d’après-midi d’avril. Une vieille dame en voilette, le nez au ciel, les bras ouverts, contemple les nuages roses, de ce rose grisé qu’on ne voit que là)… qui pour un peintre est le premier attrait. Air gorgé d’eau. L’aquarelle règne, même dans le reflet de l’autobus sur les pavés humides et l’œil bleu de son conducteur.

Rue Cadet nous habitions au fond d’une cour et, aidés d’un miroir qui captait le ciel pour le projeter sur le plafond, nous avons vécu dans l’ambre et le jaune sombre. Maintenant à Belleville nous naviguons dans le gris bleuté, les vapeurs qui traînent, l’espace racé. Quel bonheur !

Th. Vernet

Extraits de « Paris parce que… » un texte paru dans la revue “Repères”, éditions L’Age d’homme
Images : coll. privée