Nicolas Bouvier – Thierry Vernet, une amitié de 50 ans

Il n’y a pas de hasard. Nous devions nous rencontrer. Cet homme est resté mon interlocuteur le plus proche. Nous avons fait ces vingt mois de voyage sans une dispute. Ensuite, j’ai suivi son travail de peintre très attentivement, dans toutes les phases par lesquelles il est passé pour arriver aujourd’hui à une peinture que je trouve splendide. Il y a toujours eu une connivence de fabricateurs entre nous. S’il me fait une remarque sur un texte, j’en tiens aussitôt compte. Son jugement a pour moi une extrême importance. Le côté jubilatoire de L’Usage du monde tient en partie de cette bonne entente.

Nicolas Bouvier dans Routes et déroutes

Je signale que ce début de septembre marque le cinquantième anniversaire de notre rencontre dans le préau du Collège, côté salle de gym, boulevard des Casemates. Comme si c’était hier… Tu étais beau, sans acné, blond bouclé et si joliment musclé… Tu avais déjà les qualités et les talents qui s’épanouiront brillamment. Et puis je t’aimais « parce que ». Un point c’est tout.

Et c’est toujours le cas, « parce que » un point c’est tout. Je crois que toute existence nécessite un compagnon, un témoin de ses actions, bref un ami. Je remercie le ciel que ce soit toi. »

Extrait d’une lettre de N. Bouvier à Th. Vernet

Correspondance des routes croisées … s’arrête en 1964, soit l’année de parution en France de l’Usage du monde. Ces milliers de lettres mettent en mots une amitié exceptionnelle, de celles qui se tiennent toutes seules face à l’histoire du monde.

…Pas une seule de ces lettres qui ne soient toute d’attention, de soutien, de foi dans la vocation de l’autre, dans ce qu’est l’autre dans son essence.

Extrait de : lettre à l’ami par Lisbeth Koutchoumoff. Article paru dans Le Temps 16.10.2010

Thierry-et-Floristella-Nicolas-Eliane-hiver-58

Je redoutais un peu ma rencontre avec Thierry. Je me demandais si je n’allais pas devoir passer un examen de passage. Nicolas m’avais parlé de Thierry en disant, «  c’est l’autre moitié de ma pomme ». Thierry était déjà en couple avec Floristella. Je craignais d’être la quatrième roue du char. En fait j’ai été accueillie à bras ouverts et aussitôt acceptée.

Extrait d’un interview d’Eliane Bouvier, épouse de Nicolas. « Des vies partagées ». L.K. Le Temps 16.10.2010

Entrons dans l’atelier de « l’usage du monde ». Nicolas Bouvier et Thierry Vernet vont vivre ensemble seize mois sur la route de l’Orient, exister chaque jour sous le regard de l’autre – jouir réciproquement de leur vraie image, aurait dit Montaigne. Être le miroir vivant de l’autre, cela suppose une amitié sans failles. Elle le fut. Chacun dans sa partie, mais tous deux aussi indissociables que des siamois, travaillant au livre du monde qu’ils rêvent de composer à quatre mains, une œuvre totale qu’ils préparent d’abord en la vivant, nourrie par le voyage et le nourrissant en retour… 

François Laut – Nicolas Bouvier – l’œil qui écrit. Ed. Payot

 

Nicolas Bouvier à Thierry Vernet dans les entêtes de leur correspondance :

Bon vieux rabouin – Cher vieux cheval de course – Bon vieux sapin – Cher vieux con – Grand Mack – Gros père – Bon cher vieux bon – Bonne cloche – Vieux périscope – Crabouille – Bon vieux cul, bonne Kiboue – Vieux pipeau – Vieux sucre – Bonne vieille rave

Thierry Vernet à Nicolas Bouvier dans les entêtes de leur correspondance :

Vieux zigue – Bon vieux frère – Old sun – Vieux zèbre, vieux zébu – Bonne couille – Vieux Nick – Mon vieux frangin – Ma vieille truite – Vieux kütchülük – Vieux pifflet –  Vieille varlope – Vieux samouraï – Vieux frangeton – Vieux tournesol – Mon bon vieux hérisson !

Nicolas B. et Thierry Vernet en Tessalonique été 1953

C’était hier l’anniversaire du probablement plus beau jour de ma vie*. On a pensé à toi. C’était inouï il y a un an. Sans toi ça n’aurait pas été ce que ça a été. Et le soleil. Le nom de best man t’est absolument adapté.

Extrait d’une lettre de Thierry à Nicolas du 17 mars 1956
* un an auparavant, le 16 mars 1955, Thierry et Floristella se sont mariés à Ceylan
Images : Nicolas Bouvier – collections privées

 Au décès de Thierry Vernet  le 1er octobre 1993 à Paris : « Désormais et pour une année j’écrirai pour toi. Des textes qui vont te faire marrer dans ta tombe. » note Nicolas Bouvier.