Le chemin de croix: un parcours spirituel

“J’ai envie de peindre un Chemin de Croix. Après ma “Crucifixion” je commence à croire que c’est possible. Il y a au moins vingt ans, j’avais vu dans une chapelle de montagne, dans le Haut-Valais, un Chemin de Croix très simple et beau. J’aurais tant aimé en faire un, moi aussi, mais je m’en sentais incapable : peindre quelque chose que je n’aurais pas vu ! Impossible.”

Voici le plan :

1   Ecce homo
2   II part avec la croix
3   Première chute
4   Rencontre avec sa mère
5   Simon de Cyrène
6   Son visage
7   Deuxième chute
8   II rencontre les femmes de Jérusalem
9   Troisième chute
10  Partage de ses vêtements. La robe sans couture.
11  II est crucifié
12  II meurt
13  Un soldat romain lui perce le côté droit
14  Descente de croix ou Pietà
15  Le tombeau vide
16  Ecce Deo ! La Résurrection

 

J’ai commencé à dessiner, à peindre, à chercher sur les petits carrés de toiles de 15cm de côté. Passionnant. Je parviendrai, con l’aiuto d’Iddio, à faire un instrument de méditation qui soit beau. Pour l’instant, c’est moi qui médite ! Rien de tel pour réfléchir en profondeur sur la Passion que de la peindre. Sans  compter que c’est pour moi un exercice exaltant d’inventer (plus ou moins, il y a quelques précédents !) 14 situations dramatiques qui doivent être simples, très parlantes, fortes, belles « Peintures d’abord ». Mais pas question de faire n’importe quoi ; je me sers de documents de toutes sortes, je lis et je relis Catherine Emmerich, l’Evangile bien sûr, et mon missel pour  la succession des stations.

Lundi 9 octobre 1989

Je pourrais peindre sans arrêt; ce travail me tire en avant au lieu  que ce soit moi qui le tire, comme d’habitude avec les toiles d’impression, de simple vision. J’y trouve un plaisir, un moment de bonheur profond et nouveau, bien que le sujet soit terrible.

Dimanche 15  octobre 1989  

Hier je me suis remise à peindre après plusieurs jours d’arrêt forcé. Je ne vois pas le temps passer quand je travaille à ce Chemin. Plus de problème de « à quoi bon », « est-ce bien utile ». C’est une véritable nécessité pour moi. Et je sais que je sers Dieu, que c’est juste.

Dimanche 29  octobre 1989

Visite à Jean. Il voulait à tout prix savoir ce que je peins en ce moment. Ca m’a gêné. D’habitude je n’ai pas peur de parler du Ciel, mais là c’est de peinture religieuse  qu’il s’agit. Maintenant, je préfererais me taire sur ce sujet, il est trop tôt  pour en parler.

Samedi 4 novembre 1989   

Je vis un changement intérieur important que je ne comprends pas encore, c’est pourquoi tout ce qui m’éloigne et me distrait de la peinture, de ce travail si essentiel pour moi, m’ennuie ou m’agace.                                                                         

Dimanche 12 novembre 1989 

Je commence la 14ème station (maquette en petit). Je crois que je vais en faire une 13ème bis et une 14ème bis pour pouvoir peindre une Descente de Croix et un Christ ressuscité traditionnellement compris dans la 14ème, il y a trop d’événements importants dans la même station. Ca me permettra aussi de faire un panneau carré de 4×4 stations.

Dimanche 26 novembre 1989

Terminé pour le moment mes 16 projets. Un grand bonheur. La première station, le visage du Christ (6), le partage des vêtements et la Résurrection ont été les plus difficiles. Maintenant je vais les refaire un par un sur des bois préparés de 25x25cm. J’ai une telle joie de ce travail !                                                                                                   

Jeudi 7 décembre 1989

 …je ne cherche pas à révolutionner la peinture, j’en serais bien incapable. Je voudrais exprimer simplement la Passion de Dieu, dire qu’il a souffert tout cela (et bien plus) pour nous tirer du néant où nous plongeons. Que  c’est difficile et qu’il est facile de rester à la surface des choses                                                                                      

Mardi 26 décembre 1989 

Je ne pense qu’à ce Chemin de Croix. J’ai punaisé mes 16 petites images sur une planche et je les regarde d’un oeil critique. J’en suis à la 3ème station sur bois (25x25cm), pas très différente des projets, sinon que j’ai remplacé dans la première Hérode par Pilate qui me semble important.

Obligée d’en parler aux amis, aux gens lorsqu’ils me demandent ce que je fais, donc  de parler de Dieu et de la foi. Pour le moment ça m’ennuie un peu de montrer mon travail. J’espère que ce sera différent lorsqu’il sera terminé. Il est fait pour être vu et médité. Mais je voudrais aussi qu’il touche les peintres…. ou ceux qui ont  un oeil de peintre.

J’ai rêvé l’autre nuit que j’étais enceinte. J’avais un très gros ventre. Et puis un bébé, une petite fille habillée, d’un an environ (Marie…) est arrivée, voletant dans l’air, toute gaie, agitants ses petits bras. Et je me disais : à mon âge ! C’est incroyable ! Est-ce que Thierry sera prêt à en accepter les contraintes ?                                                

Vendredi 13 janvier 1990 

Je continue à peindre dans la joie et l’anxiété. 6ème station, le visage du Christ. L’être le plus difficile à imaginer. Les peintres d’icônes s’en sont tirés par la stylisation traditionnelle un peu formaliste. Je voudrais exprimer : beauté, force, amour pénétrant, douleur. Bonheur aussi de l’Amour  qui donne tout. Beauté, mais  destruction par les bourreaux jusqu’à le rendre méconnaissable. C’est impossible. Et je n’aurais pu le peindre tel que je le vois dans ces moments : les yeux sanglants, le visage déformé, sale, en sang. L’horreur. Moi je n’en n’aurais pas supporté la vue; c’est déjà assez  pénible comme ça. Le reste on peut bien l’imaginer.                                                                           

 Jeudi 6 mars 1990

Découragée aujourd’hui. C’est une entreprise impossible sans la prière. Je le vois bien quand je l’oublie.                                                                                        

Vendredi 16 mars 1990

Les préjugés sur la peinture religieuse sont coriaces; je le constate dans les réactions de certains, ils n’en voient plus la peinture. Ce n’est pas grave. J’ai confiance, il faut aller de l’avant, je suis motivée comme jamais. Thierry me soutient, les A, aussi.

Samedi 22 septembre 1990   

Je dois bien avouer que je souffre, et je ne suis pas la seule, de l’horreur, des malheurs du monde. C’est pourquoi je trouve sans doute un grand apaisement à peindre ce Chemin de Croix, si paradoxal que cela puisse paraître. Il donne son sens à la souffrance et me permet de l’exprimer sublimée. C’est aussi un exutoire à mes propres violences intérieures et à mon horreur de la violence.                                                                        

Vendredi 16 novembre 1990   

Lutté pour améliorer la 4ème station. Sans modèle autre que moi, et un peu Thierry, mais surtout mon petit mannequin de bois articulé que j’ai habillé d’une robe blanche en tissu souple. Si j’avais un modèle vivant ce serait beaucoup plus « juste » mais moins expressif, je tomberais dans un réalisme plat, je me connais.                              

Vendredi 4 janvier 1991 

Honnêtement je trouve ces peintures belles, mais il me suffit d’ouvrir un livre de reproductions du XIVème ou Xvème siècle, ou d’icônes, pour me sentir misérable. Ma satisfaction est réelle mais relative.                                                            

Jeudi 17 janvier 1991  

Il faudra faire des photos. Ce chemin sera exposé, peut-être vendu. M’en séparer va être dur.

Le visage du Christ surtout, trouvé dans ce combat, me manquera énormément. Il m’aura tant aidée !                                                                                         

 Dimanche 1er décembre 1991

Extraits du Chemin de Croix de Floristella Stephani : Une publication de la galerie Plexus – 1992

 

Maquettes de préparation

Les oeuvres sont présentées dans : Galerie – chemin de croix